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Photo du rédacteurDaniel Shoushi

Alkimia : le Soufre Rouge et le chiffre du Seigneur de l'univers


Livre de Jâbir ibn Hayyân

Notre quête commence avec un alchimiste musulman, du nom de Jâbir ibn Hayyân (721-815 apr. J.-C.), qui nous fera découvrir la doctrine de l'Imam en tant que Pierre Philosophale ainsi qu'une science dénommée arithmosophie, très proche de l'enseignement des kabbalistes judaïsants.


Dans son traité Kitâb al-Bayân, le "Livre de l'Explication", Jâbir ibn Hayyân nous suggère que la libération collective de l'humanité des chaînes de l'ignorance aura lieu grâce à la diffusion des sciences ésotériques. À la fin des temps, un personnage messianique divino-humain désigné comme le Bayân ("Celui qui dévoile", "Celui qui explique") viendra rendre manifeste le caché, et accomplir ainsi le destin de l'humanité entière. La figure du Qâ'im ("Résurrecteur"), autre nom du Bayân, extirpera l'homme de sa propre obscurité et ignorance en l'élançant depuis sa propre tombe, que constitue son état psychique, vers les sphères de lumières dans lesquelles l'homme s'illuminera d'une lumière incomparable. Tout homme est mort psychiquement s'il n'accomplit pas le retour vers son Imam, son Guide intérieur, lequel apparaitra à travers la figure du Messie à la fin des temps. Une conjonction symbolique s'opère entre l'Imam intérieur et l'Imam de la fin des temps, autrement dit le Bayân. Le jour de la Résurrection n'est donc pas à chercher à la fin de notre cycle adamique, mais en soi-même d'abord, ce que les alchimistes de langue arabe vont se charger d'expliquer en de nombreux passages.


A cette eschatologie métahistorique de l'histoire individuelle et humaine s'ajoute ceux des secrets du Grand Nom ineffable de Dieu, dont la Pierre Philosophale connue comme Soufre Rouge dans les textes alchimiques arabes, dévoile à l'initié la Sagesse atemporelle. En effet, l'alchimie ne constitue pas ici un simple savoir sur les minéraux, elle incarne le Savoir des savoirs, la science qui contient la clé de toutes les compréhensions possibles en ce monde. Elle révèle le secret intime du monde, qui est la structure humaine elle-même et en ce sens, son origine n'est pas humaine mais divine. Il ne faut pas oublier que la naissance de l'univers, ce que l'on a coutume d'appeler la cosmogonie, est à l'image de notre propre apparition au monde. C'est-à-dire que la cosmogonie reflète une ontologie, et par conséquent toute initiation spirituelle traverse à rebours notre cosmos intrapsychique.


Livre de Jâbir ibn Hayyân

"La connaissance de la Pierre Philosophale est, en ce sens, assimilable à la rencontre avec l'Imam, et opère la transmutation de l'alchimiste lui-même en gnostique parfait, en Orphelin adopté"

Pierre Lory


Tout homme est orphelin tant qu'il n'a pas rencontré son Ange, son Seigneur personnel comme le dirait le soufi Ibn Arabi, qui n'est autre que le Soi (Atman) dont le psychanalyste C.G.Jung a su mettre en avant la figure transmutatoire. Nous errons sur cette terre comme des princes déshérités de leur royaume, à la manière des Pandava, ces seigneurs exilés dont le Mahabharata nous narre les périples jusqu'à leur victoire totale grâce à l'intervention de Krishna. L'intellect humain, affirme Jabir, est une substance simple, immatérielle, telle une pure lumière. Il est capable en puissance de saisir tous les universaux contenus dans l'Intellect Universel et l'Ame Universelle. L'homme terrestre peut parvenir à ce type de connaissance dans une sorte d'illumination désignée comme ‘ilm, c'est-à-dire Connaissance intuitive. Le Bayân terrestre est donc la manifestation du Verbe divin sur Terre, c'est un Ange dont l'apparence est humaine. Les implications de cette assertion sont immenses, nous pouvons, en effet, la transposer sur chaque récit coranique tel celui d'Adam par exemple. Ce qui dévoilerait une lecture métahistorique au texte révélé, en d'autres termes le Coran serait un texte purement symbolique qui chercherait à renouveler le regard de l'homme sur lui-même, et les récits l'inciteraient donc à intérioriser la narration comme une donné individuelle ayant une valeur métaphysique. Le Coran affirme que Dieu à demander aux anges de se prosterner devant Adam, mais Ibliss, le Satan du Christianisme, refusa et par conséquent, Dieu le banni loin de tout. Comme l'a bien notifié Robert Ambelain, Adam peut se lire A-dam et contiendrait en son nom le Soufre Rouge, car Dam signifie sang et indique la couleur rouge, quant à la lettre A, c'est une lettre arabe qui connote le divin par excellence. En arabe Adam, nom du premier homme créé par Dieu signifie: de couleur brune, tirant sur le rouge, et est apparenté au verbe adima: être rouge, avoir la peau brunie.


La lettre A, dans la science des lettres porte pour valeur le chiffre 1, qui n'est autre que Dieu. L'arithmosophie de Dam (qui se compose de deux lettres: D, M) donne 44 (D = 4; M = 40), la lecture du nom ADAM, qui ne possède que trois lettres en arabe (ADM), aboutirait au chiffre 45. L'Homme primordial, qu'est Adam, affiche pour chiffre 45. Tout être qui reconnait Adam comme maître se tient présent au côté du divin. Ce qu'il faut entendre derrière Adam est justement notre Soufre Rouge, le Bayân, celui à qui Dieu enseigna les noms de toutes choses, soit les secrets du Grand Nom et de la Nature. Ce qui fait de lui l'archétype de l'Imam présent en chaque instant, ainsi les anges sont des êtres humains qui vivent parmi nous dont la nature fut "rectifiée", "sublimée" comme le diraient les alchimistes. Qui est donc Ibliss ? L'homme qui endure son errance et qui reste en prise aux ténèbres de son ignorance.


Carré magique

L'analyse gnomique du carré magique (image ci-dessus) des neufs premiers chiffres avec le nom ADM signale une correspondance arithmosophique. En effet, lorsque l'on additionne l'ensemble des nombres du carré magique, soit de 1 à 9, nous obtenons le chiffre 45. Le carré magique qui en fait expose toutes les puissances de l'univers, tel le carré Luo Shu et le Ming Tang en Chine (image ci-dessous), indique qu'Adam est l'Imam de l'univers, le Rabb (Seigneur) des trois mondes. Le Ming Tang, la "Maison du Calendrier", est un temple (Mandala) qui représente le Cosmos. Ses neuf salles (les neufs cases) renvoient aux neuf Régions qui partagent la Terre et aux neuf Provinces de l'Empire chinois. Par la loi d'analogie, le Ming Tang est plus qu'une simple figuration du Monde, ainsi, quand l'Empereur se rendait à l'intérieur du Temple, c'est au Centre du Monde qu'il pénétrait. Le chiffre 5, axial et qui se tient au coeur Ming Tang, souligne que l'Homme-Empereur est la quintessence de l'univers, il est l'Axis Mundi par lequel le haut et le bas se joigne.


Luo Shu

Les circumambulations de l'Empereur de Chine dans les neuf chambres étaient supposées agir directement sur l'équilibre du Monde. Elles suscitaient et favorisaient "l'apparition du cycle complet de jours qui compose une année". Elles suffisaient à "ordonner l'Espace et le Temps et à maintenir une exacte liaison des Saisons et des Orients". Comme le carré magique, le Ming Tang a douze façades. Celles-ci correspondent à douze stations, aux douze mois de l'année solaire. Les quatre cotés du carré symbolisent les saisons. Les trois façades du côté oriental figurent les trois mois de printemps, celles du côté méridionale les trois mois d'été, celles du côté occidental les trois mois d'automne, et celles du côté septentrionale les trois mois d'hiver. Le Luo Shu et le Ming Tang se constituent de corrélations, de similarités avec d'autres éléments de la culture chinoise tels que les cinq Phases, les cinq organes, les douze Animaux du zodiaque, les huit Trigrammes, etc. Nous ne pouvons nous empêcher de penser que la Jérusalem céleste, décrit dans le livre "l'Apocalypse" dont les propos sont similaires à la description du Ming Tang, renvoie également à cette symbolique du Messie Roi de l'univers. Le Messie, l'Agneau du Seigneur, régnera sur l'univers et la Jérusalem céleste descendra sur terre afin d'illuminer tout homme.


Ming Tang

Le chiffre 5, Pan en grec ancien, rappelait que le Tout est constitué de cinq Eléments: Terre, Air, Eau, Feu et Ether. C'est la raison pour laquelle le nombre 5 et le Tout se correspondait mutuellement, et se situait au coeur d'un cercle partagé en quatre sections égales. Le nombre 5 tire son symbolisme de ce qu’il est, d’une part, la somme du premier nombre pair et du premier nombre impair (2+3), et d’autre part il indique le milieu des 9 premiers nombres (1+2+3+4 - 6+7+8+9). C'est la raison pour laquelle les pythagoriciens en ont fait le signe de l’union, nombre qui marque la Voie axiale pour s'élever vers le divin, c'est une Voie d’harmonie et d’équilibre des puissances. Il sera donc le chiffre des hiérogamies, le mariage du principe céleste (3) et du principe terrestre de la terre mère (2). C'est ainsi que l’étoile à cinq branches, la fleur à cinq pétales, est placée dans le symbolisme hermétique au centre de la croix des quatre éléments: c’est la quint-essence, ou l’Ether.


La queste du Soufre Rouge est chiffrée, elle incite les personnes qui cherchent réellement à se rectifier de faire plus attention à ce qui est dit, à ce qui est énoncé dans les textes révélés. Il ne peut exister de divergence entre le monde tangible et invisible, le monde extérieur et intérieur, c'est l'homme des ténèbres qui trouble l'eau de la Connaissance.


 

Sources :


Titre : Alchimie et mystique en terre d'Islam

Auteur : Pierre Lory

Editions : Gallimard


Titre : Dix traités d'alchimie

Auteur : Pierre Lory

Editions : Actes Sud

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