La caverne de Platon
« Eh bien, après cela, dis-je (Socrate), compare notre nature, considérée sous l’angle de l’éducation et de l’absence d’éducation, à la situation suivante. Représente-toi des hommes dans une sorte d’habitation souterraine en forme de caverne. » (Platon)
Si la quête de la Vérité de notre être consiste en un décèlement de soi-même, puisque l’objet de notre attention constante est le fruit d’une projection ininterrompue de notre propre source originale, cela revient à dire que nous nous sommes nous-mêmes encloisonnés tout comme nous sommes les seuls à pouvoir ouvrir la cloison. Remarquons bien que Platon évoque dès la première ligne l’éducation et la non éducation. Il s’agit tant de la prise en charge de l’enfant par les instances éducatives que celui d’un état d’être généré par un esprit absent à lui-même. Du conditionnement social à l’emprise de l’esprit projectif l’homme rêve les yeux ouverts. Il adhère à un monde d’images en restant persuadé qu’elles existent en dehors de lui-même, et pour elles-mêmes.
Sans mode de connaissance de soi-même, lequel brise les chaînes du prisonnier, il est impossible de voir la lumière qui jaillit de la source intérieure. Cette lumière indique bien évidemment le chemin à arpenter pour sortir de sa propre caverne. Dès lors, le premier pas du changement de condition consiste à voir cette lumière, qui, pourtant, ne peut être vue car elle ne fait qu’éclairer notre propre espace obscur. Je comprends donc que la Connaissance n’est pas de ce monde, tout comme la lumière. C’est par cet éclaircissement intérieur que nous découvrons l’esprit projectif et son jeu d’images. Cette Connaissance délie nos constructions mentales qui ne se réfèrent qu’à des opinions, car l’opinion reste un point de vue linéaire de la Vérité laquelle provient d’un hors champ spatial et temporel.
Désormais, l'âme à l'impérieuse nécessité d'abandonner les anciens enseignements, afin de migrer vers de nouvelles connaissances qui ne dépendent pas de sa sensibilité corporelle. L'âme s'en remet aux nouveaux enseignements qu'elle reçoit lesquels doivent être saisit par une autre partie d'elle-même qu'elle n'utilisait pas jusqu'à présent. Si l'âme intellige bien le monde qui l'entoure avec sa partie rationnelle, elle ne peut le faire que par l'entremise de son propre corps. En d'autres termes, l'âme n'est jamais directement confrontée aux objets qui se présentent à elle sans passer par l'intermédiaire des sens. Ce qui la libère des liens du corps est le calcul, c'est-à-dire un art mathématique dont la nature consiste à ordonner et à organiser ses propres idées. Cet art n'est donc pas le fruit de l'âme puisqu'elle réceptionne une lumière qui clarifie le monde par le calcul, c'est au cours de son apprentissage qu'elle découvre son propre monde intérieur par la calcul et dévoile sa propre prison. Cet homme élague en fait son propre champ intérieur en l'organisant, et par cet oeil de l'intellect il se rend apte à se saisir lui-même. Dès lors, il existe un lien intime entre l'apprentissage du calcul, l'organisation de ses propres idées et la faculté d'intelliger le monde. Si l'ordre intérieur provient d'une réalité autre que celle des sens, laquelle apparaît similaire au flux inorganisé du chaos, la raison en est que l'âme s'ordonne elle-même par le biais de la lumière du calcul et qui s'apparente à la mise en ordre du cosmos élaborée par le Logos (l'Intelligence suprême) à l'aube des temps. Il y a donc une connivence entre le Logos organisateur du monde et la faculté intelligible qui use du calcul. De cet agencement de son propre cosmos intérieur nait le discernement, le jugement peut donc être émis selon une norme juste. L'âme ainsi dotée peut affronter le plan sensible qui déploie la multiplicité des phénomènes et par la suite l'organiser, mais surtout percevoir une réalité dissimulée derrière le monde des apparences. Cependant, cette âme qui s'élève au-dessus de l'abîme du monde sensible reste inopérante sans l'intervention de la géométrie, puisque par cet autre art elle découvre que le calcul expose des unités à agencer sans présenter la profondeur. La profondeur de soi-même se dévoile par la géométrie, l'âme convertie les nombres en volume et ouvre l'accès aux formes intelligibles lesquelles président à la formation des objets sensibles.
La science du calcul fait réfléchir l'âme sur la possibilités d'établir une définition de "l'un" comme étant un agent commun à tous les multiples. Or, cette unité foncière du monde sensible évoque l'Un lui-même, le Logos, source de la mise en ordre du monde. La science du calcul ne s'ingénie donc plus à chiffrer les êtres sensibles, mais à démontrer leur unité fondamentale par-delà la simple perception que nous en avons de prime abord. Le calcul permet donc de dépasser les impressions, d'entrer en contact avec leur part d'universel lequel est dévolue à la géométrie. Quant à la géométrie, elle décèle des Figures archétypales qui prédéterminent la réalité visible. L'âme reçoit l'image des Formes archétypales et apparaissent sous forme de figures géométriques. Pour Platon, l'âme s'aiguise à mesure qu'elle s'agence elle-même et ce, jusqu'à atteindre le seuil des réalités spirituelles qui ne peuvent être perçues au premier abord que par leur réflexion à travers des figures géométriques. L'âme contemple encore un reflet et non l'Origine elle-même, en d'autres termes sa nature lui échappe encore. Se découvrir soi-même consiste à pouvoir s'ouvrir à la dimension lumineuse de l'universel qui luit en dehors de la caverne. Par conséquent, le mythe de la caverne évoque le passage du singulier à l'universel en un acte graduel de sublimation de soi. Le délicat passage entre l'apparition des Formes archétypales et leur mise en image par des figures géométriques doit être compris comme une traversé de l'inconnaissable. L'âme outrepasse ses anciens modes d'être, elle connait toutes choses à partir d'elle même car elle procède du plan lumineux. Le monde vit en l'âme, le langage mathématique le met en lumière, et ce monde intérieur et animé prend source en un lieu lumineux et sans ombre. L'âme contemple sa propre profondeur et observe sa propre mise en oeuvre et sa propre intériorité se mettre en marche lors de son propre déploiment. C'est alors qu'elle décèle ce qui l'anime et comprend que l'ensemble du langage mathématique met en lumière cette activation, il lui donne le reflet du monde lumineux. Le langage mathématique est donc le signe du monde lumineux, la marque intelligible des Formes archétypales.
De cette philosophie des mathématiques découle une âme consciente d'elle-même. Le monde extérieur est notre propre reflet, une ombre, lequel miroite une réalité plus intérieure et apparentée au calcul et à la géométrie. L'âme s'éveille à elle-même jusqu'à saisir son propre jeu mental, la porte du monde lumineux s'ouvre alors et la voilà se dessaisir de l'art de la géométrie pour contempler l'Origine. Il s'agit de contempler sa propre activation et sa propre animation intérieure sans que l'âme se confonde avec ce processus d'engendrement. L'âme libérée d'elle-même se contemple elle-même.
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